L'opéra assassin - acte 1, scène 4

Publié le par Frederic est fou

(lire la scène précédente)

Accompagnement musical : final de l'acte 1 de l'italienne à Alger, Rossini.

 

 

Au foyer de la danse du palais Garnier, sous le beau plafond peint, décoré d’anges potelés et de frises en dorure, un psychodrame était en train de se jouer, tel un octuor buffo alla Rossini, un de ces fameux crescendo.

Les acteurs de cette pièce improvisée étaient Belinda Watson, la diva en jean tee-shirt, Carlo Marruletti, le célèbre ténor, vociférant du haut du haut de son mètre cinquante, talonnettes comprises, Sam Brueghel, basse hollandais, qui dominait la scène d’un air indigné, Conchita Gomez, la volcanique mezzo espagnole, Jean Duverney, nouvelle coqueluche du public parmi les barytons français, Gassmann, directeur de l’institution, Fragonard, directeur musical et chef d’orchestre et enfin Tikken van Tikken, le scandaleux metteur en scène.

Chacun des protagonistes avait dans les mains la partition, et l’on procédait à une première lecture. L’ambiance était électrique. Conchita et Belinda avaient eu quelques mois plus tôt un grave différent lors d’une série de représentations de Marie Stuart à Barcelone, différent qui, d’après certains, portait sur des exigences de costume et de longueur de traîne. Carlo Marruletti craignait avant tout que sa petite taille ne se remarque, et pour tenter de mieux la dissimuler, il était coutumier de fréquentes demandes de modifications de placement ; de surcroît, bien que petit, il souffrait d’un tel embonpoint qu’il avait des difficultés à se déplacer, aussi préférait-il limiter sagement les mouvements, en se plaçant une fois pour toutes bien au centre de la scène, là où la voix porte le mieux, son jeu scénique se limitant quand nécessaire à de simples entrées et sorties. On imagine aisément que van Tikken, le metteur en scène, n’était d’ailleurs pas du tout satisfait du choix de ce ténor, qui n’avait pas le physique de son rôle de jeune premier, le fait qu’il en ait la voix ne lui suffisant absolument pas. Brueghel, lui, se posait comme une sommité en musicologie, d’ailleurs, il lui arrivait parfois de prendre la baguette, et de diriger en personne certains opéras. Quand il était simple chanteur, ses connaissances l’obligeaient donc à exprimer constamment son avis sur les choix du chef qui le conduisait, pour le reprendre sur tel rythme, sur telle harmonie, tel équilibre des pupitres, en arguant qu’il ne cherchait rien d’autre que le bien de l’œuvre. Duverney, quant à lui, ne se souciait que de deux choses : sa coiffure, qui en tout moment devait être impeccable, et le montant de son cachet ; car il était encore jeune, et avait l’impression d’être sous-payé, voire que son agent l’exploitait en négociant son talent au rabais. Aussi, il n’avait de cesse d’obtenir le montant des sommes offertes à ceux avec qui partageait la scène, afin de mieux se positionner, financièrement parlant.

Tous étaient des chanteurs de renoms, et, si aucun n’égalait en célébrité Belinda, la seule qui fasse les couvertures de journaux people, ils estimaient normal d’entretenir un minimum de caprice, question de standing. La composition unique de la partition de Li Amante Fatale, qu’ils découvraient, avait finit de plonger ce petit monde dans la plus parfaite hystérie.
 

-         C’est grotesque !

-         C’est absurde !

-         Si je peux me permettre, un conseil, il faut la transposer, tout bêtement, cette partition.

-         Et moi, je vous préviens, je refuse de chanter à côté d’elle !

-         Figurez-vous je n’ai pas l’intention de chanter à côté de vous, Carlo. Je n’ai pas du tout envie de passer pour une géante…

-         Je fais toujours préciser sur mes contrats que je ne répète jamais avant midi. Ma voix n’est chauffée, avant midi !

-         Au prix où nous sommes payés !

-         Vous vous imaginez que l’on va réapprendre les bases de nos connaissances en chant ? Modifier notre façon de chanter ? Cela n’était absolument pas prévu !

-         Je suis bien d’accord.

-         Messieurs, mesdames, calmez-vous

-         Vous nous faites perdre notre temps !

-         Si je comprends bien, c’est encore la soprano qui a toutes les arias à vocalises.

-         En tout cas, pas question que je fasse cette entrée à dos de cheval.

 

Personne ne semblait prêt à faire moindre effort, les protagonistes tenaient leurs positions avec rage et détermination. La secrétaire fit irruption en plein milieu de cette cacophonie. « Monsieur le Directeur, excusez-moi de vous interrompre, mais l’orchestre vient de déposer un préavis de grève. »

(à suivre)

Publié dans L'opéra assassin

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B
S'ils arrivent à chanter ensemble, nul doute que ce sera faux!
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F
lol ! Bien vu ! A moins qu'ils ne se lancent dans un concours de décibels et/ou de tenue de longueur de note !
L
S'ils transposent la partition, le Grim quitte la salle. (la musica est une bonne idée)
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L
Oupppppps, un bug. Désolé pour la répétition.
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L
Eh ben il est pas près d'être au point cet opéra.En fait t'aime bien les situations compliquées, me semble t'il. Et tu sais très bien les retranscrire.C'est une torture de ne pas avoir la suite, arrrrrrrrgh !!
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F
En fait, l'opéra et les élections ont en commun qu'ils impliquent plein de personnes... les situations sont compliquées par essence. Et puis, si tout allait bien et simplement, cela ne serait pas interessant, non ?La suite arrive... patience. Mais, là, aujourd'hui, je vais essayer de corriger les coquilles, parce qu'en parcourant les derniers épisodes, je m'apercois qu'il y en a beaucoup...
L
Eh ben il est pas près d'être au point cet opéra.En fait t'aime bien les situations compliquées, me semble t'il. Et tu sais très bien les retranscrire.C'est une torture de ne pas avoir la suite, arrrrrrrrgh !!
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