L'opéra assassin - Acte 1 - scène 3

Publié le par Frederic est fou

(lire la scène précédente)

Elle choisit toujours la même suite, vue sur le jardin, déjeuner à l’Espadon, thé à l’Hemingway. Parfois, elle descend au sous-sol, derrière l’improbable piscine au décor de mosaïque, se faire chouchouter par une masseuse dans le magnifique centre thalasso. A Paris, elle ne travaille jamais tout à fait. Le shopping, son couturier préféré qui siège à peine à quelques rues, et le soir, la place Vendôme qui brille de tous ses feux diamantins.
Le concierge a bien fait installer le piano à queue blanc et les bouquets de camélias qui la suivent partout dans le monde, référence à un de ses plus grands rôles, celui qu’elle a ravi, dans l’imaginaire du public, à la Callas. Théâtrale, Belinda trône dans un sofa cramoisi, face au directeur de l’opéra, venu en personne, jusque dans sa chambre d’hôtel, pour la saluer. Malgré sa simplicité légendaire, la diva a le goût du protocole et de la mise en scène, que la fréquentation des planches lui a enseigné. Elle parle à voix basse, un délicat murmure de jeune fille, mais ses yeux lancent de la braise, des yeux capiteux de courtisane d’un autre siècle.

Sur une photo, prise au naturelle, sans maquillage, ni coiffure, ni pose, on ne la trouverait pas jolie, on la dirait même banale, un nez trop long, des joues trop rondes, avec des fossettes exagérées, et un cou un peu court. Mais en sa présence, on ressent comme une aura électrique, son regard fascine, deux perles noires insondables, son sourire irradie, son allure altière, port de princesse, étourdit les sens. Merveilleuse. Belinda Watson est merveilleuse. Et elle l’est encore plus, merveilleuse, pour qui a assisté à son ultime transformation, sa transfiguration, ce moment cathartique où elle devient irréelle, et, passant au delà la frontière qui délimite l’humain, elle n’est plus femme, mais un sublime instrument de l’art en sa plus haute expression, la divine prêtresse de la musique ; ce moment miraculeux où elle se met à chanter. Merveille !

La voix de Belinda a ce grain si particulier, unique, reconnaissable entre tous, où la volupté infinie se mêle à une sorte de déchirure un peu rocailleuse, comme si des larmes coulaient de ses cordes vocales. Gravité et langueur, elle est tragédienne autant que nymphe, et le pouvoir hypnotique de sa voix produit sur chaque auditoire la plus incroyable des communions. Silence religieux, et fascination des pélerins.

Pourtant, rien ne prédestinait Belinda à son éblouissante carrière. Tout d’abord parce qu’elle était née dans une petite ferme du Kansas, à Chisiwick, une petite ville éloignée de tout, et qui ne disposait pas même d’un théâtre municipal. Ensuite parce que personne dans la famille de Belinda n’avait de goût ou de connaissance particulière en musique. Adolescence, la future diva se régalait donc plutôt de mauvaise musique pop, et couvrait sa chambre de posters d’idoles éphémères. A cette époque, la jeune femme s’imaginait actrice, jouant le premier rôle dans une pièce de Tennessee Williams. C’est au lycée que sa voix fut tardivement révélée, alors qu’elle avait été retenue parmi de nombreuses candidates pour interpréter le rôle principal de la Mélodie du Bonheur pour la fête de fin d’année. Ce premier succès dans la comédie musicale, ainsi que les encouragements de son professeur de musique enthousiaste commencèrent à la faire rêver de Broadway.

La légende, que Belinda aime à entretenir, a brodé la suite de l’histoire, racontant que la voix de Belinda avait toujours été là, qu’il avait suffit qu’à peine elle ouvrit la gorge, pour que cette voix prodigieuse en sorte, et que le succès avait été immédiat : quelques cours de chant à peine, premiers engagements, arrivée à New York, et audition miraculeuse au Metropolitain Opera, qui l’avait en un jour propulsée sous les feux de la rampe.
En réalité, il n’en avait été bien autrement, et Belinda a simplement gommé de ses biographies officielles les années de galère où, dans une quasi-misère, elle devait travailler comme serveuse de restaurant pour se payer ses cours particuliers. Car la voix était là, certes, torrent volcanique, mais il fallait apprendre à la conduire, à la maîtriser, à lier les registres, à creuser les graves et à gagner, marche après marche, les aigus. Il fallait travailler à contrôler son souffle, ce souffle légendaire qui lui permet maintenant les lui incroyables pianissimi. Il fallait enfin étudier la musique, le solfège, et tout ce répertoire qu’elle ne connaissait pas. Mais Belinda avait pour réussir une qualité essentielle, condition indispensable à un métier si difficile. Elle possède une volonté de fer, une capacité de travail et de rigueur quasi infinie qui lui permettent d’affronter les obstacles les plus difficiles. Sous son apparente frivolité, son laissé aller savamment calculé, Belinda Watson est une incroyable perfectionniste, et, alors que pour elle, tout paraît si simple, si évident, la moindre note est le fruit de milles répétitions, et une recherche constante de la vérité artistique.

- Quel plaisir de retrouver Paris, Monsieur Gassmann
- Paris est heureux de vous retrouver

- Hahaha ! Vous êtes un flatteur ! Parlez-moi de cette réunion de travail, demain.

- Le chef a besoin de s’entretenir avec les solistes, Madame. La partition est complexe, elle va requérir un très long travail.

- J’ai l’habitude, voyons. Je connais mon métier.

- Je n’en doute pas, mais vous allez voir, cet opéra est vraiment très … particulier. Mais je préfère que vous découvriez tout cela demain. Maestro Fragonard vous expliquera tout cela mieux que moi.

- Well, Je suis là pour cela. Est-ce que je vous fais monter une tasse de thé ?


(à suivre)

Publié dans L'opéra assassin

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B
Question de fond: Belinda a-t-elle fait les soldes?
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F
Tu poses la vraie question Béatrice ! Belinda adore vivre entourée d'une certaine frénésie, donc, à priori, la période des soldes est faite pour elle. D'autant qu'ayant l'éducation d'une petite fermière du Kansas, elle connait la valeur d'un dollar. Mais elle adooore surtout être entourée d'une demi douzaine de vendeurs, ce qui n'arrive jamais dans ces périodes de ristourne. Mais bon, en général, les grands couturiers se battent pour lui offrir ses robes de scène...
L
C'est bien d'arriver en retard, sauf pour les buffets,  y a plein de choses qui attendent. Je vais lire tes autres textes et n'en profite pas pour flaner, j'attends la suite. ;-)
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F
Je me remets au boulot dès demain ! A+, le Grim.
F
Passage amical par ici pour te souhaiter un bon week-end. Courage pour le nouveau design ...<br /> Bises
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F
Merci Fred. Bon week-end à vous deux !
L
De la belle écriture !!En plus je me sens proche de ta diva, nous fréquentons le même monde. Moi aussi je fréquente les hôtels et restaurant de luxe, je chine place vendôme et jai un piano à queue blanc dans mon salon :-))
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F
Merci ! Tu sais, après tout, bien que diva, Belinda reste une petite fermière du Kansas, elevée au Coca-Cola...