L'opéra assassin - ouverture, allegretto (2)
(L'épisode précédent, c'était ici)
Elle feuillette avec ravissement un exemplaire du Time Magazine, un vieux numéro qui a pourtant deux mois, mais dont elle fait la couverture. Belinda Wilson est une diva de notre siècle, moderne, dynamique, qui n’hésite pas à venir aux répétitions en tee-shirt et en jeans, se fait photographier par les plus grands photographes de mode, change trois fois de robe par concert, demande à faire couper la climatisation quand elle est en avion, et fait ses courses toute seule au supermarché. Huit ans. C’est la distance à laquelle son agent doit programmer ses prochains engagements. Huit ans. La représentation est dans six mois, et l’opéra de Paris ne veut qu’elle pour le rôle. Un tel pari ressemble fort à une mission impossible, mais pour cela qu’Henri, l’assistant Distribution, est payé. Le téléphone ne décolle pas de son oreille, le fax crépite ; et déjà, les prémices du commencement d’une petite lueur d’espoir. La star, a été informée de la proposition a d’emblée posé un refus catégorique. « Non, il n’en n’est pas question, elle ne veut, c’est absurde, impossible. » Et chez elle, pour Henri qui la connaît, c’est plutôt un bon signe : tous les projets qu’elle valide d’emblée ont pour coutume de ne jamais aboutir. Si elle refuse celui là, c’est qu’il a une chance. En revanche, le cachet qu’elle ne pas manquer d’exiger risque fort d’être historique. La direction en est consciente, et Henri a carte blanche. Pour Belinda, il n’y a aucune limite : son nom seul agit comme une formule magique, il suffit à remplir les plus grandes salles, à convaincre n’importe qui de participer à un projet ; si Belinda Wilson accepte de signer pour la série de représentations, l’opéra pourra obtenir n’importe quel chanteur pour compléter la distribution. Malgré la douzaine de rôles à distribuer en quelques semaines, il ne s’occupe donc que d’elle, opiniâtre et confiant.
Il faut dire qu’en Henri, toujours habile à tisser des liens, a un agent dans la place, au cœur même de la forteresse Belinda. Et ce précieux allié n’est rien de moins que Timothee Spencer, le redoutable agent de diva. Henri et Timothee se connaissent depuis longtemps, et se sont par le passé rendus un certain nombre de services mutuels. La rumeur leur a même prêté une liaison, mais personne n’y croit sérieusement, car Spencer a plutôt la réputation de coucher avec ses clients – surtout s’ils sont jeunes, mignons, et qu’ils ont un joli brin de voix.
Relais de la cause de cause parisienne, Spencer défend donc ardemment le projet auprès de sa cliente préférée.
- Tu comprends, Belinda, ce sera un vrai événement. Il y a aura à Paris l’ensemble de la presse internationale, peut-être même les magazines people. Il faut absolument que tu en sois. En plus, les représentations coïncident avec la sortie de ton récital d’airs baroque.
- Justement, cela n’a rien à voir
- Bah, le public, il n’achète pas ton disque pour la musique baroque, c’est toi qu’il veut entendre, cara.
- Vilain flatteur… je suis certaine que tu vas me le facturer, ce compliment ! Et mes engagements, qu’est-ce que je fais, à ce moment là ?
- Les Puritani à San Francisco.
- On peut annuler ?
- On peut toujours, c’est moi qui négocie tes contrats, voyons. Tiens, il faudra aussi écourter les répétitions du Haendel à Houston.
- Ah, çà, ce serait plutôt une bonne nouvelle. J’ai déjà la migraine rien qu’à l’idée de chanter ce machin. Je ne sais pas comment je me suis laissée convaincre d’accepter.
- C’est toi qui a demandé à Houston de programmer le Haendel, Belinda.
- Arrête de me parler de ce machin, je suis assez contrariée comme cela. Demande à Paris qu’ils m’envoient une copie de la partition, je vais réfléchir.
Est-ce cette partition, ou les deux cent roses blanches qu’Henri avait fait livrer en même temps qui convainquirent Belinda ? Peut-être était-ce simplement le petit mot qui disait : « Chère Madame, ces fleurs sont bien peu au regard de votre talent. Ce rôle est pour vous, vous seule pouvez le créer. Fixez vous-même votre cachet, ce sera pour nous un honneur de l’accepter. »
Quelques mois plus tard, sur le tarmac d’Orly, elle faisait une arrivée remarquée, radieuse dans sa tenue décontractée, sa légendaire paire de jeans, et la presse, bien sûr été convoquée pour l’événement, allait titrer : « Belinda Wilson… diva, oui, mais sans les caprices »