Elections, fandango - chp 4 : l'aquarium (2)

Publié le par Ah, Frederic est fou

(le précédent épisode, si vous l'aviez raté)

La presse fut le relais aussi pléthorique que dithyrambique de l’événement. Les journalistes locaux avaient rivalisés d’astuce pour titrer la plus belle une. « Sous la plage, les poissons », « Virtuellement fantastique », « Aquatiquement votre », « l’Aquarium du troisième millénaire »… Et la cérémonie d’inauguration, les plans en couleurs du vaste bâtiment, les entretiens avec l’architecte, ou avec le Maire, Jean-Robert Burnichon lui-même, occupaient bien entendu la plus grande partie des pages, sans compter les cahiers spéciaux qui avaient été consacrés par la Gazette du Littoral ou Soleil Magazine. Bien évidemment, tout cela faisait énormément de travail pour la pauvre Marysette, qui devait réaliser la revue de presse pour le comité. Elle avait à découper chaque article, à réduire les grands formats sur la photocopieuse, à titrer l’ensemble des pages pour que l’on sache d’où elles étaient tirées, bref, un vrai travail de fourmi. Et puisqu’elle se sentait au cœur de l’événement, parti prenante dans les destinées glorieuses et la célébrité de sa commune, elle lisait avec passion chacun des articles, et, toute nouvelle lecture, bien que redondante, lui procurait une joie presque enfantine. Elle se revoyait, tout juste la veille, parmi la tribune des invités, où monsieur le Maire avait eu la gentillesse de convier l’ensemble du comité, avec le bel ensemble rose qu’elle avait commandé sur son catalogue préféré, rien que pour l’occasion. Et, malgré ses doigts ankylosés qui la faisaient souffrir à force d’user du ciseau, elle continuait l’exploration de la haute pile des quotidiens et hebdomadaires dressée devant elle, telle une tour de Babel, frisant avec le ciel de polyuréthane du faux-plafond. « Je vais finir par attraper un tour de rein, sur cette chaise inconfortable », pensait-elle régulièrement, mais aussitôt, l’article suivant avait raison de sa native inclinaison à l’hypochondrie.

Le compte rendu du « Rapporteur de la Côte » était le plus palpitant, le journaliste ayant, en quelques strophes bien senties, réussi à dépeindre la grandeur et l’émotion de cette journée d’inauguration.

 

« … Après l’émouvante cérémonie, dont le point d’orgue fut naturellement le vibrant discours du maire de Mariva, Monsieur Jean-Robert Burnichon, la foule des invités, tous ceux qui détenaient le précieux sésame, purent enfin pénétrer dans le majestueux bâtiment, dont l’architecture audacieuse marque déjà, de l’extérieur, les grandes ambitions. Franchir les portes de l’Aquarium Virtuel de Mariva, c’est pénétrer instantanément dans une nouvelle dimension : après avoir mis quelques secondes à s’acclimater à la semi obscurité des grands fonds qui règne, on commence à distinguer les couloirs qui serpentent, dans de multiples directions, comme une immense grotte sous-marine. Le plafond scintille, comme si nous étions plongés, loin de la surface, à observer à travers une profonde masse de flots salés la mouvante brillance du soleil, dont les rayons sont déformés par les vagues. L’impact est saisissant. L’architecte en lumière Pierre Marincourt, qui a réalisé cette mise en scène lumineuse, a lui même admit qu’il n’avait jamais encore mené de projet aussi aboutit : « c’est un long travail d’équipe, qui se concrétise aujourd’hui. Nous avons mené des recherches dans l’océan et dans la Méditerranée, afin de filmer cette lumière déformée par la masse aquatique, afin d’installer le visiteur à la place des poissons : ainsi, nous avons la sensation de pénétrer dans leur habitat, de comprendre le point de vue des poissons ».

La visite se poursuit de façon aléatoire, en empruntant un des couloirs qui part de la grande agora centrale, cœur de l’aquarium. « Ce concept de visite aléatoire permet de redéfinir les codes classiques de visite de monuments ou de musée. Chaque visiteur imagine, selon son inspiration, son envie, sa pulsion spontanée, son propre parcours », nous a expliqué William Petterson, scénographe. « L’objectif n’est pas, comme dans un lieu classique, la visite exhaustive des lieux, car ici, le visiteur n’est plus spectateur, mais véritable acteur de sa propre découverte ».

Bien entendu, c’est dans ces couloirs qu’ont lieu les rencontres saisissantes avec les vrais maîtres des lieux : les poissons, les mammifères marins, les mollusques, les végétaux aux mille couleurs… Mais ici, pas une goutte d’eau, pas un « vrai » poisson, mais une vraie confrontation à la modernité, dans ce que la technique a de plus noble : des projections, des écrans géants, où ondulent toute la faune et la flore de nos mers. Au détour d’un virage, apparaît la mâchoire effrayante d’un requin, qui semble foncer droit sur vous. Frissons garantis ! Bien entendu, au ludique s’ajoute le pédagogique, avec de nombreux écrans tactiles, des écouteurs qui expliquent les différentes projections.

De plus, toutes les heures, des animations, comme, par exemple, le spectacle de dauphins, projeté dans le cinéma circulaire ; ou la terrifiante plongée virtuelle dans le bassin de méduses, où les hologrammes perfectionnés vous donneront la frayeur de votre vie (20 personnes maximum par séance). Enfin, dans le « théâtre marin », une troupe de beaux crustacés, costumés par Gaultier – toujours dans un soucis de confronter la réalité de la Nature et l’actualité de notre vie moderne - récitent des poèmes sur le thème de la mer, au son d’une belle musique originale de Marcel Clément. On sort de l’aquarium, où plutôt, on « remonte à la surface » ébahit par tant de merveilles ! Nous ne pouvons donc que vous conseiller d’aller vite visiter à votre tour ce lieu unique au monde, l’aquarium de Mariva pouvant s’enorgueillir d’être premier musée de cette sorte ! »

 

Marysette souriait. Evidemment, elle irait, et irait encore. Hier, après l’inauguration, elle s’était précipitée, dans les premières, pour acheter son passeport annuel !

(lire la suite)

Publié dans Elections - Fandango

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H
Quelle description ! Je ne suis pas déçu. Et ce petit journaliste a bien du talent, lui aussi (lol). Où as-tu pêché tout ça ? Ah, les crustacés habillés par Gaultier (manque un L) et récitant des poèmes, un pur bonheur !
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A
Merci de tes compliments, et je vais de ce pas corriger "Gaultier". Si tu veux visiter l'Aquarium virtuel, je dois pouvoir t'avoir des invitations, je connais du monde à la mairie...
B
Dans une vie antérieure, tu as fait du journalisme de sous-préfecture? Excellent!
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A
Content que ce chapitre t'amuse, je me suis beaucoup amusé à l'écrire - même si ce n'est pas toujours un gage de qualité !