Elections, fandango - chp 2 : le comité (2)

Publié le par Ah, Frederic est fou

(lire le précédent épisode)

Rolande était en train de pleurnicher devant son four. Le cadavre de la tarte aux pommes qui se trouvait à l’intérieur, elle n’osait pas l’affronter du regard. Avec tout se temps passé à remettre en place sa permanente, à se maquiller, à choisir une robe assortie au bleu électrique de son fard, elle l’avait complètement oubliée, la pauvre petite ! Dire qu’elle avait épluché chaque fruit avec patience, qu’elle avait pris mille précautions pour aligner les quartiers, délicatement tranchés, le plus fin possible. Elle avait même saupoudré la double couronne des rangées de pommes de sucre vanillé, comme lui avait suggéré Madame Pottier, qui fait si bien la cuisine. Si elle continuait à pleurer, son rimmel, chargé, allait dégouliner, et elle ajouterait une nouvelle catastrophe au désastre culinaire. Tout cela pour un comité ou la majorité des élus, elle s’en doutait bien, la prenait pour une nunuche, bonne à faire de la figuration. L’an dernier, on n’avait même pas voulu lui confier la distribution des tracts. Et sur le stand, elle était toujours reléguée à la buvette, avec les bénévoles. Avec cette tarte ratée, brûlée, gâchée, une fois encore, on la prendrait pour une gourde. Elle faisait parti du bureau, tout de même ! Les adhérents l’avaient élue ! Et à ce moment, Rolande se sentait plus pitoyable que jamais.

Bien entendu, elle ne trouverait aucune consolation auprès de son mari, avec qui elle ne parlait plus depuis des années, sauf peut-être au moment des repas, quand on se demande ou on a bien pu fourrer la télécommande du téléviseur, ou pourquoi Rolande a fait autant de salsifis pour deux personnes, d’abord, tu sais que je n’aime pas çà. Léon était ainsi, un vieux garçon, qu’elle avait épousé trop tard, alors qu’il habitait toujours chez ses parents. Elle avait pris la suite de sa belle-mère, jouant le rôle de bonne à tout faire de ce grincheux de mari. Et les années ne font qu’aggraver les différences, creuser le fossé de l’ennui et de l’indifférence.

Hier, au temps de sa jeunesse, le temps filait, et Rolande courrait, active, après les petites échéances de la vie, se laissait avec délices avaler par ce rythme insidieux, les rentrées des enfants, les vacances, la voiture qu’il faut changer, la maison à entretenir, les courses à faire, tiens il est déjà cinq heures, tiens, il est déjà midi. Mais les aiguilles des horloges, des montres qui rythment notre temps nous trompent, à éternellement tourner en rond. Le temps est une ligne droite qui nous dévore continuellement. Les enfants marchent, parlent, ils ont déjà fini leurs études, la fille se marie, puis le fils, et quittent la maison. Le quotidien se vide de sa substance. Face à face, en chiens de faïence, Rolande et Léon. Ennui et indifférence.

Pff, après tout, ce comité, c’était son petit espace d’indépendance, sa seule sortie, sa seule mission. Une tarte ratée, ce n’est pas la fin du monde. Juste un échec de plus dans la course aux obstacles de la vie.

 

Yvon a toujours des idées, mais cette fois, il était fier de lui. Il faut dire qu’il l’avait sacrement préparée, cette première réunion, et il comptait bien, grâce à son intervention, en être une nouvelle fois la star. Bien sûr, son statut politique l’auréolait déjà d’une gloire que les autres n’avaient pas, et il avait l’appui de Jean Robert, sa confiance ; cela se savait, d’autant qu’il ne manquait jamais une occasion de le rappeler. Alors, le respect qu’il imposait était en fait toujours aussi teinté d’une pointe d’envie, mais cette jalousie est une petite rançon de la célébrité qu’il acceptait fort bien. Sa moustache luisait la brillantine, ses chaussures étaient rutilantes, ses chaussettes Nike du plus bel effet, leur blanc éclatant contrastant avec le gris foncé de son pantalon de costume, il ne faillirait pas à sa réputation d’élégant. Il ajusta le pin’s de la mairie au revers du col de sa veste, et, après un dernier coup d’œil satisfait dans le miroir, il se mit en route. 

« Docteur, si vous voulez, nous allons commencer par la lecture de l’ordre du jour. » Le Docteur enchâssa ses lunettes sur son nez, se racla la gorge pour se donner le la, puis se mit à lire le document que Marie avait distribué à chacun, de sa voix grave et posée de maître conférencier. L’énumération des sujets était, pour qui avait l’habitude de ces ouvertures de séance toujours empreintes de solennité, plutôt fastidieuse.

Il y avait les choses que l’on mettait à chaque fois aux votes, et qui étaient comptabilisés nominativement par les deux secrétaires de séance, il y avait les compte-rendus, qui servaient de faire-valoir, et le tour de table, ou chacun essayait de briller, mais d’où souvent peu d’idées neuves sortaient. De toute façon, tout cela était tellement établit, depuis des années, et il n’y avait rien à inventer. On se satisfaisait avant tout d’être là, d’œuvrer ensemble, d’être importants. Parfois, tout de même, la réunion s’emballait, quand on évoquait un sujet polémique : la couleur des fanions de la prochaine kermesse, le slogan que l’on afficherait sur les badges de soutien, ou la participation à la vente de charité du Recours Solidaire. On débattait, tout en mangeant des chouquettes, et plus les échanges étaient passionnés, plus le large panier en osier plein de ces choux sucrés se vidait.

Cette première réunion du comité fixait le début des actions de pré-campagne, avec, en guise de cri de ralliement, le nouveau slogan « objectif municipales ! ». Car chaque membre en était convaincu, si Jean-Robert était chaque fois réélu, brillamment, dès le premier tour de scrutin, c’était avant tout grâce à eux. Grâce au comité de soutien au Maire.

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Publié dans Elections - Fandango

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Commenter cet article
H
Caustique sous une apparence délicieusement désuète...
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A
Caustique, non... voyons, Elections, Fandango est un ouvrage trèèès sérieux !
B
Je me régale. Ton style est vraiment très agréable, et ton humour plein de causticité...
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A
<br /> Merci de ton compliment, Béatrice ! Je vais essayer de poursuivre sans décevoir...