Le réveil d'Ethel (1)

Publié le par Ah, Frederic est fou

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Avec prudence, méticulosité, circonspection, certains passent leur temps à régler la vie, l’organiser, peu à peu, installer des habitudes, des refuges, bâtir son petit monde, mais tel un château de cartes, il suffit d’une seconde pour que tout s’écroule. Patatras, il avait du la trouver ridicule, elle avait été ridicule, elle était ridicule. « Stéphane, je t’aime », lui avait-elle dit, comme çà, d’emblée, sans bonjour, ni bonsoir. Le son de sa propre voix avait mis quelques secondes à lui revenir, comme si il fallait qu’elle s’habitue à l’idée d’avoir prononcé cela ; à peine elle eut le temps de le voir rougir, et ses yeux s’étaient enfuis vers le sol, vers deux pieds étriqués dans une paire d’escarpins trop neufs, ses pauvres pieds qui ne savaient plus quoi faire. Elle avait ainsi dû fixer ses pieds pendant d’interminables secondes, espérant que quelque chose allait se passer, mais quoi ? Ethel était anéantie. Les verts pâturages s’étaient envolés, la forêt avait été balayée, les ruisseaux ne chantaient plus ; elle avait beau fermer les yeux, le monde était gris, gris, désespérément gris. Les murs du bar branché dégoulinaient de musique, il avait répondu d’une voix étouffée, mais elle n’avait pas compris ce qu’il avait dit. Sophie avait attrapé Ethel par le bras, et l’avait tirée vers une table autour de laquelle on s’installait sur des poufs de velours cramoisi, pour boire un verre, ils étaient là pour cela. Pas de fuite possible. Ethel s’était collée à Sophie, pour ne pas être près de lui, pour ne pas sentir trop violemment son regard sur elle ; solitude, cacophonie électronique, foule ondulante contre le bar… impossible de se réveiller.

En se levant, le lendemain, tout était différent. D’abord sa chambre, qui était devenue une petite pièce jaune, avec des rideaux à fleurs. Son lit, qui avait une couette, et deux oreillers en tissu, était disposé sur un tapis aux motifs chinois, duquel jaillissaient des volées de petites lattes de parquet ancien. Où donc étaient les fleurs aux doux parfums, les lapins qui gambadent joyeusement, dès le réveil, les saules qui fredonnent de doux chants, accompagnant les passereaux multicolores qui d’habitude fêtent à grand renfort de gazouillis la nouvelle journée ? Sous un ciel de peinture blanche qui s’écaille par endroits, Ethel découvrait soudain un univers qu’elle ne connaissait pas. Son petit appartement était comme il n’avait jamais été, petit, fermé, ordinaire, affligeant de banalité. Un chez elle où elle se sentait étrangère. Comme une claque en pleine figure, Ethel venait de prendre conscience de sa vie.

 

Dehors, c’était pire, sans doute parce qu’il faisait beau, et le soleil qui illuminait les rues de la ville donnait aux hautes façades impavides des airs de géants hostiles, luisants dans leurs armures de lumière. La rue grouillait d’un va et vient désordonné de piétons, de voitures, de taxis, qui s’engouffrait vers l’horizon ébloui de lumière, et semblaient être avalés par la perspective incertaine de l’asphalte caramélisé. Et les badauds étaient indifférents, et pressés ; ils vaquaient, chacun vers leur journée, comme si cela était tout à fait normal. Sous ce soleil, tout cela avait l’air si réel ! Minuscule point au milieu de cette multitude démesurée, trop grande pour qu’elle ne s’y sente pas enfermée, Ethel était en proie à la plus terrifiante des angoisses. L’instinct animal lui permis de concentrer le peu de raison qu’il lui semblait conserver, et, mécaniquement, elle arriva au travail. Au onzième étage de la tour, dans le petit bureau silencieux, elle trouverait peut-être un refuge. Elle s’enfonça dans un large ascenseur, déjà à moitié plein, qui, comme tous les matins, allait certainement desservir tous les étages, Sophie l’appelait l’omnibus de neuf heures. Mais au moment ou les portes commencèrent à se refermer, elle poussa un cri. « Attendez, attendez, je veux descendre. » Une bonne âme du arrêter la machine, puisque les portes se rouvrir, et, malgré les mines réprobatrices des autres passagers, mécontents, suspicieux, dérangées, et qui n’avait pas envie de s’écarter pour la laisser sortir, elle se faufila et descendit.

 

Quand elle habitait dans sa belle prairie à l’herbe tendre, où les nuages caressent la joue, et le vent coiffe les cheveux, elle connaissait un magicien, qui habitait une belle clairière, non loin de sa chère forêt. Dans la rue, elle s’imagina le petit ruisseau, qu’elle ne voyait plus, et le remontant. Il lui fallu beaucoup d’effort pour se souvenir à quel chêne, il fallait tourner, dans ce lieu où les chênes étaient des panneaux de circulation et des feux tricolores. La clairière était devenue une banale place, avec une fontaine au milieu, qui était à sec.

 

« Racine de passiflore, deux cuillérées de poudre de réséda, trois têtes de mandragore… » Au fond de sa boutique, le magicien chantonnait la formule d’une potion inconnue. Devant le comptoir séculaire, Ethel attendait qu’il fasse son apparition, il avait du entendre le carillon de la porte, et, quand enfin il apparut, Ethel fut complètement rassurée, avec sa blouse blanche et ses sourcils épais, il avait l’air d’un savant. « Bonjour Madame, que puis-je pour vous ? » Confiante, Ethel déversa sur le vieux comptoir tout le poids de son chagrin ; les lapins perdus, la forêt disparue, sa chambre si bizarre, et les rues, les trottoirs, les voitures…

Le Magicien réfléchit un moment. « Je vois. J’ai peut-être quelque chose pour vous. Normalement, je n’ai pas le droit de vous en donner comme çà, mais je vais faire une exception. Tenez, ces pilules. Pas plus d’une par jour. »

 

En sortant de la boutique, Ethel tenait précieusement entre ses mains le petit sac en papier, qui contenait une petite boîte de pilules ; des pilules magiques !

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L
Ben... je ne sais pas quoi dire d'autre: j'attend la suite avec impatience :)<br /> Gros bisous et joyeux noël à toi, Fréderic ! :)
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B
zut! je suis pas la prem's! :)<br /> eva a raison: la solitude d'Ethel est transperçante. J'espère que tu vas lui laisser une chance: elle est très attendrissante et appelle la sympathie...LA SUITE!
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A
J'ai pas le temps, voyons Béatrice ! J'ai une épitaphe à écrire !!!
E
on entre très vite dans le monde de ethel, dans sa vision des choses...et j'aimerais savoir la suite...vite!!
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A
<br />  <br /> Merci eva ! Je vais tâcher de donner plus de rythme à ma production !